Une victoire pour le Collectif du 21 octobre !

La Cour Européenne des Droits de l'Homme a condamné la France le 8 février 2024 pour avoir retenu place Bellecour pendant des heures, le 21 octobre 2010, plusieurs centaines de manifestants contre la réforme des retraites. Dans cette nasse se trouvaient en majorité des jeunes, des étudiants et même des lycéens.

Le 21 octobre 2010 : que s’est-il passé ?
A l’automne 2010, dans un contexte de lutte contre la réforme des retraites, les syndicats lycéens et étudiants avaient appelé à rejoindre les cortèges syndicaux. A Lyon, le jeudi 21 octobre 2010, avant le départ de la manifestation, entre 13h30 et 19h30, plus de sept cents personnes, majoritairement des jeunes, voire même des mineur-es, et de simples passant-es ont été séquestrées sans aucune justification, sans explication. Toutes ont été empêchées de boire et d’accéder à des toilettes. Beaucoup ont été insultées, humiliées par les forces de police, pour certaines flashballées, aspergées de gaz lacrymogène, arrosées avec des canons à eau en l’absence même de provocation ou de rébellion. Ces attaques injustifiées étaient entrecoupées de longs moments d’attente tendue. Au cours de l’après-midi, les provocations et brimades émanant des forces de l’ordre se sont multipliées. Les témoignages convergent pour dénoncer une discrimination au faciès flagrante et des propos insultants et racistes : les plus âgé-es, les plus organisé-es ont pu sortir, les autres non. Notons que les violences physiques ont semblé plutôt banales pour certains jeunes de banlieues. Et pour clôturer ce dispositif, au bout de sept heures d’enfermement, les jeunes ont dû faire la queue pour subir des contrôles d'identité et photographies pour fichage. Celles/ceux qui ne pouvaient justifier de leur identité ont été embarqué-es dans des bus.
Ce dispositif de rétention de manifestant-es a été qualifié par la suite de nasse. 
A la suite de cette journée, un collectif s’est créé et 16 plaignant-es individuel-les et 19 organisations, dont la FCPE, défendu-es par leur avocat Bertrand SAYN déposent plainte avec constitution de parties civiles en 2011. Une information judiciaire a été ouverte le 9 novembre 2011 contre personne non dénommée, des chefs d’atteinte arbitraire à la liberté individuelle par dépositaire de l’autorité publique (article 432-4 du code pénal) et refus du bénéfice d’un droit par dépositaire de l’autorité publique à raison de l’origine, de l’ethnie ou de la nationalité (articles 432-7 et 225-1 du code pénal).

Pourquoi la FCPE s’est-elle engagée comme partie civile dans cette action en justice ?
De nombreux jeunes scolarisés ont été empêchés de manifester et retenus contre leur gré dans des conditions indignes. La FCPE, fédération de parents d’élèves, participe pleinement à la communauté éducative. Elle considère que l’Ecole est le creuset de l’apprentissage de la démocratie. Elle attend que l’Ecole favorise l’éducation à la citoyenneté et l’expression et le débat dans les établissements. En conséquence, elle estime que les enfants peuvent participer aux actions et mouvements populaires ou se donner des formes d’organisation qui leur sont propres. Ils doivent pouvoir en débattre entre eux et avec les adultes
Les jeunes doivent pouvoir trouver dans les institutions (Ecole, Police, Justice) bienveillance, respect et écoute. Cela n’a pas été le cas ce jour-là et la FCPE considère que la reconnaissance de l’abus de pouvoir de la part de l’Etat aura une vocation pédagogique et participe à réhabiliter l’image des institutions.
Depuis, lors d’autres mouvements sociaux, la FCPE s’est régulièrement indignée des violences policières subies par les jeunes et du risque de voir toute une génération réticente à utiliser son droit à manifester.

8 février 2024 : arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme - la conclusion de 13 années de ténacité
Il aura fallu 13 années de procédure pendant lesquelles le collectif du 21 octobre a collecté, recoupé des informations, accompagné les plaignants, maintenu le lien entre les organisations, épaulé le travail de son avocat et informé. Chaque année, le collectif a sollicité des intervenants pour affiner sa perception, élargir sa compréhension, analyser et éviter les pièges de ces stratégies policières. Toutes ces conférences, rencontres, film, débats ouverts ont permis de maintenir la mobilisation pour dénoncer et résister à ces pratiques de nasses.
Après avoir épuisé tous les recours jusqu’à la cour de cassation, posé une question prioritaire de constitutionnalité, le Collectif a décidé de déposer une requête par l’intermédiaire de Maître SPINOSI devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme, requête déclarée recevable le 3 mai 2022.  
Enfin, le 8 février 2024, la Cour Européenne des Droits de l'Homme condamne la France pour une double violation de l’article 2 du Protocole* n° 4 (liberté d’aller et venir) et de l’article 11 de la Convention*, lu à la lumière de l’article 10 de la Convention* (liberté de réunion à l’aune de la liberté d’expression).


C’est donc une magnifique victoire parce que c’est d’abord la reconnaissance de l’illégalité des pratiques de nasses jusqu’à 2021, comme celle subie à Lyon en 2010 et ensuite car cette condamnation de la France signifie, de façon inédite, que le recours aux nasses peut porter atteinte à la liberté de manifestation et d’expression.
Certes, c’est la France qui est condamnée et non ceux qui ont décidé le 21 octobre 2010 de retenir plus de 700 personnes en les privant de liberté mais cet arrêt n’est pas que symbolique. Il rappelle que dans un Etat de droit, les agissements des forces de l’ordre doivent être encadrées juridiquement, les libertés fondamentales de circulation, d’expression et de réunion pacifique, garanties par la Convention européenne des droits de l’homme ne peuvent être restreintes que par des dispositions strictement encadrées par la loi.
Quatorze ans après les faits, il faut saluer le courage des plaignant-es individuel-les qui ont persévéré dans l’action en justice et aussi tous les jeunes qui ont été encerclés, humiliés, victimes de racisme qui n’ont pas pu porter plainte, ni faire entendre leur parole. Cet arrêt est un formidable exemple de ce qu’un collectif peut apporter en terme de soutien individuel mais aussi en terme de protection des libertés 

*Il s’agit de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et des Protocoles qui l’amendent. 


18/03/2024 - Texte élaboré par France-Noëlle LEFAUCHEUX, présidente de la FCPE 69 de 2008 à 2013, à partir des productions du Collectif du 21 octobre (https://collectifdu21octobre.blogspot.com/)